Daniel Marco


Daniel Marco est décédé subitement mercredi dernier à l'âge de 71 ans.

Quiconque s'est engagé dans les luttes syndicales ou politiques de ces 50 dernières années à Genève l'a obligatoirement rencontré, a débattu ou s'est affronté à lui. Car il a été de toutes les luttes, depuis le mouvement étudiant des années 1960 jusqu'à celui des mal logés de la décennie actuelle. Aucune lutte politique où il ne fût présent et actif et où, au nom de la justice sociale, il ne bousculât ou provoquât ceux qui voulaient compromettre ou renoncer. Aucune lutte syndicale surtout, son engagement de toujours à la FOBB, puis au SIB et à UNIA, où il n'ait exercé son énergie inépuisable à soutenir la cause des opprimés du capital. Son exigence de justice était absolue et ne souffrait aucun atermoiement, ceux qui ont eu à l'affronter au cours des innombrables réunions auxquelles il a participé peuvent en témoigner, qui ont subi ses critiques acérées et ses emportements. Je dois ici corriger une opinion largement partagée selon laquelle la violence de ses attaques verbales visait à réduire au silence ses adversaires du moment. Rien de plus faux ! Dans le débat, Daniel provoquait la contradiction et la poussait à bout non pour détruire l'adversaire mais pour clarifier les enjeux théoriques, démasquer les positions idéologiques implicites et construire pas à pas une unité de vue indispensable à la réussite de l'action politique à venir. En ce sens, et cela en étonnera plus d'un, Daniel était un vrai rassembleur, cherchant toujours à renouer le contact avec ceux qu'il avait apostrophé la veille, s'efforçant inlassablement de construire des alliances avec tous ceux qui, même adversaires, se reconnaissaient dans la lutte anticapitaliste.

Aucune action, cependant, ne peut se développer sans théorie préalable. Sur ce point de méthode, Daniel était intransigeant et cela explique la priorité qu'il accordait au débat d'idée. Le militant se doublait donc d'un théoricien et il ne cessait de nous étonner par l'abondance et la diversité de ses lectures alors que nous le croyions occupé soir et matin à l'action militante. Sa formation d'architecte l'avait amené à développer une affinité profonde avec les arts décoratifs et l'expression artistique en général, en tant que véhicule d'interprétation de la réalité et source d'idées pour comprendre la condition humaine. Ses attaches marxistes lui avaient donné le goût de l'histoire. Mais, dans ces deux mises en perspective de la réalité contemporaine, celle de l'espace et celle du temps, il ne cessait de remettre l'espace au premier plan. La territorialité comme source de liberté, il la cherchait également chez les philosophes, sautant allégrement d'Agamben à Sloterdijk pour alimenter sa réflexion politique. Daniel représentait le chercheur impénitent et polymorphe, aux intuitions dérangeantes, sans cesse en mouvement pour dénicher de nouvelles hypothèses propres à faire avancer la réflexion des nombreux cercles où il militait avec tant de générosité et de talent.

Avec sa mort, la Genève de gauche perd un de ses acteurs essentiels, un militant exemplaire, un collègue et ami dont le soutien et l'amitié n'ont jamais été pris en défaut. A la fois boussole par rapport à laquelle chacun pouvait se situer, bouclier derrière lequel on trouvait protection, tribun public, homme de terrain et d'action mais aussi homme de cabinet et de réflexion, Daniel était aussi un homme discret, pudique, secret, qui cachait sa très grande sensibilité et ses trésors d'affects sous un voile d'apparente rudesse et brusquerie. Salut l'artiste !

Jean-Noël Du Pasquier, Genève, le 10 décembre 2009.


Paru dans le Courrier le 12 décembre 2009