Communauté genevoise d'action syndicale (CGAS)

Groupe «Genève: 500 mètres de ville en plus»

Pour une prise de position contre le Masterplan Praille - Acacias - Vernets

Version 1 / 9 août 2007


Ce texte a été rédigé par Daniel Marco,
responsable de la Commission «Aménagement et logement» de la CGAS
avec la collaboration des membres de la Commission et
des membres du Groupe «Genève cinq cents mètres de ville en plus».

Ce texte est en cours de discussion.


1     Le concours de la section genevoise de la Fédération des architectes suisse (FAS):

L'une des origines du Masterplan Praille - Acacias - Vernets est à rechercher dans une initiative de la Section genevoise de la Fédération des architectes suisse (FAS). En 2005, elle organise un concours international d'architecture et d'urbanisme, qui ne répond à aucun mandat, intitulé «Genève 2020» pour la densification du secteur Praille - Vernets - Acacias

Ce concours est, sans équivoque, présenté par ses promoteurs comme une critique à la soi-disant passivité de l'Etat en matière d'aménagement du territoire, d'urbanisme... et de construction de logements. Le Département de l'aménagement, de l'équipement et du logement (DAEL) et le Conseiller d'Etat qui en la charge sont clairement désignés en tant que fauteurs d'immobilisme.

Dans la brochure éditée par la FAS après le jugement du concours qui présente programme et projets 1)  , Francesco della Casa, rédacteur en chef de «Tracés» la revue romande de la Société suisse des ingénieurs et architectes (SIA), justifie l'organisation du concours à la manière d'un donneur de leçons corporatiste. Extraits:

(...) Le contexte politique genevois est notamment caractérisé par l'existence, au sein de l'antagonisme classique gauche/droite, de deux fronts opposés: les associations de défense des locataires d'une part, les milieux immobiliers de l'autre. (...) La polarisation extrême de l'affrontement entre bailleurs et locataires a stimulé le développement d'un corpus de lois et de règlements, dont la Loi sur les démolitions, transformations et rénovations (LDTR) et la Loi générale sur le logement (LGL) sont les plus denses.

Par voie de conséquence, le personnel politique et administratif ayant à traiter des affaires d'urbanisme est, depuis une vingtaine d'années, majoritairement composé de juristes. Le rôle des professionnels est marginalisé, tant dans les administrations qu'au sein des commissions consultatives (...)

Le bilan de ce mode de développement basé sur le conflit entre forces antagonistes est, sans surprise, assez désastreux. Malgré un pouvoir d'attraction qui ne s'est pas altéré, Genève n'a pas su se donner les moyens de se développer (...)

Le jury de ce concours est au reste formé d'architectes et d'urbanistes qu'Antonio Gramsci 2)   aurait sans doute qualifié d'intellectuels organiques représentants ce qu'il appelait le parti idéologique des politiques dominants pour le distinguer des partis politiques proprement dit.

D'ailleurs, Laurent Moutinot, l'une des cibles, ne s'y trompe pas. Très critique vis-à-vis de cette initiative, il déclare à une journaliste du quotidien de centre-droit «Le Temps» 3)   (...) Et je suis très amer de voir de brillants intellectuels, des gens dont le métier est de construire, polluer le débat avec des réflexions prospectives et des projets délirants dont personne ne veut. Leur action est dommageable et je n'en tiendrai pas compte.

Dans un débat organisé par le quotidien centriste la «Tribune de Genève» 4)   l'opposant à Christophe Aumeunier, secrétaire général de la Chambre genevoise immobilière, qui soutien à fond l'initiative de la FAS, Laurent Moutinot persiste et développe. Trois extraits, les questions sont posées par le journaliste Jean-François Mabut.

- Etendre la ville sur des zones industrielles reconverties, n'est-ce pas la logique même?

Moutinot. J'ai réagi assez vigoureusement contre ce projet. Non pas que j'estime inutile une telle réflexion, au contraire, mais cette zone abrite 850 entreprises et offre du travail à 11'000 personnes. Je crains qu'on passe trop vite d'une réflexion à des propositions qui pourraient désécuriser les travailleurs.

Aumeunier. Les employés qui travaillent à la Praille n'ont aucune crainte à avoir. C'est en fait le manque de logements qui freine le développement de Genève, les entreprises ne trouvant pas à loger leur personnel. Il faudra certainement à terme déplacer une partie de cette zone industrielle en périphérie et accepter que, par capillarité, c'est-à-dire petit à petit, la ville croisse entre Carouge, Lancy et le Bois de la Bâtie (...)

- Plutôt que les logements, n'est-ce pas des zones industrielles qu'il faudrait aménager en périphérie de la ville?

Moutinot. Je ne suis pas d'accord de démolir des infrastructures existantes, qui ont été réalisées à grands frais par l'Etat ou par les entreprises, pour construire du logement, alors que celui-ci peut être construit sur des terrains vierges.

Aumeunier. Ce n'est pas l'intention du concours de Genève 2020 de délocaliser des entreprises. La zone est actuellement sous-densifiée.

- Pourrait-on imaginer ce genre de concours d'idées sur d'autres périmètres dans le canton, par exemple, entre les Eaux-Vives et la gare d'Annemasse?

Moutinot. C'est une très mauvaise idée! On ne fait pas de l'aménagement du territoire comme s'il s'agissait d'un jeu de Lego. Aller dire aux Genevois qu'entre la gare des Eaux-Vives et Annemasse, on va leur faire une ville très belle, c'est de la folie (...).

Il y a 50 participants et cinq projets primés. On décèle dans les conclusions du jury 5)   une inclinaison à calmer le jeu. Extrait:

(...) L'ensemble des projets primés propose un éventail de stratégies de développement envisageables pour un site recelant un potentiel de développement considérable. De la sorte, elles constituent une contribution culturelle majeure, susceptible d'amorcer et d'alimenter un débat de fond sur le développement futur de l'agglomération genevoise.

Les débats qui ont accompagnés et suivis l'exposition des projets ont été rudes. Outre une escarmouche avec un représentant du Groupe «Genève cinq cents mètres de ville en plus», Raymond Schaffert, accusé d'avoir, dans la «Tribune de Genève», volé la vedette aux lauréats du concours en défendant le projet de gare centrale de Genève à la Praille; le débat organisé par la FAS avait vivement opposés trois candidats au Conseil d'Etat Laurent Moutinot (sortant), David Hiler ( écologiste nouveau) et Mark Muller (libéral nouveau). Les deux derniers à la recherche d'une alliance contre le premier. Une alliance qui se concrétisera plus tard.

Les jeux sont faits... Les organisateurs ont tiré les marrons du feu. D'autres vont se servir. En pleine campagne électorale Mark Muller reprend l'idée à son compte, Extrait du quotidien «Le Temps» 6)   .

Le deuxième défi est le logement. (...) La détente du marché passe aussi par la construction d'un nouveau quartier de la ville, centre la Jonction et la Praille, dont un pôle universitaire à la Pointe de la Jonction. C'est là, en un lieu très bien desservi par les moyens de transport, que notre ville va naturellement se développer. Je plaide pour un urbanisme moderne, à visage humain et intelligent, mêlant activités professionnelles et habitat. Ce sera un énorme bol d'air pour le canton. Ce projet créera des emplois dans la construction et dans toutes les professions qui y sont liées: fournisseurs et artisans divers, banques, assurances, régies, fiduciaires, etc. Il offrira de nombreux appartements à proximité des places de travail. (...) Ce grand projet propulsera Genève dans le nouveau siècle et redonnera confiance aux Genevois. (...)

2. Le discours de Saint-Pierre

Le discours dit de Saint-Pierre qui, selon l'usage énonce, lors de sa prestation de serment la politique générale d'un nouveau Conseil d'Etat fraîchement sorti des urnes, contient un changement de cap important. Sous le titre «Construire à Genève, mais comment?» on peut lire.

  • Construire conformément aux orientations données par le Plan directeur cantonal.
  • Développer le grand quartier de la Praille - Acacias.
  • Construire en se préoccupant toujours des problématiques d'aménagement du territoire dans la région franco-valdo-genevoise.

Exit Laurent Moutinot, le DAEL et les objections de quelques rares fonctionnaires.

Et il n'est pas question d'une révision profonde du Plan directeur cantonal ni de tenir compte de l'Initiative no. 128 qui propose de déclasser au minimum 1% du territoire cantonal dans sa partie actuellement non-constructible pour construire 15'000 logements.

De plus, d'habitude, le discours de Saint-Pierre est une référence qui s'estompe avec le temps, mais dans ce cas d'espèce elle perdure comme une véritable feuille de route pour quatre ans (... voir plus si entente).

3. Le concours d'architecture pour un Masterplan du périmètre Praille - Acacias - Vernets

Ensuite c'est l'organisation d'un concours d'architectes pour un Masterplan du périmètre Praille - Acacias - Vernets par le Département du territoire (DT) nouveau département résultant du démantèlement de l'ancien Département de l'aménagement de l'équipement et du logement (DAEL). Le nouveau Conseil d'Etat l'a scindé en deux d'un côté l'aménagement du territoire de l'autre la (ou les) construction(s); d'un côté Robert Cramer de l'autre Mark Muller.

C'est un concours sur invitation. Les huit bureaux d'architectes invités sont:

  1. Oberson (GE)
  2. Barthassat (GE)
  3. Devanthéry et Lamunière (GE)
  4. Ernest, Niklaus et Fausch (ZH)
  5. Luscher (VD)
  6. Descombes G. et J. (GE)
  7. Giraud et Grosjean (GE)
  8. Mayor et Boesch (GE)

Les lauréats du concours de la FAS sont superbement ignorés. Aucun n'est invité. Les organisateurs de la compétition sont furieux.

Ils ne sont pas contents; largués comme Raton le chat dans la fable de La Fontaine «Le singe et le chat 7)  » (celle «des marrons du feu») dont la morale leur convient bien...

Raton n'était pas content, ce dit-on.
Aussi ne le sont pas la plupart de ces princes
Qui flattés d'un pareil emploi
Vont s'échauder en des provinces
Pour le profit de quelque roi.

Le résultat de ce concours est une trivialité. Pour tous ceux et celles qui travaillent dans le secteur de l'immobilier «l'expert c'est celui qui réside à soixante kilomètres» (ou plus). C'est l'invité zurichois qui l'emporte grâce à un jury aux ordres et un projet plus souple, «plus flexible» explique Sophie Lin, directrice-adjointe de l'Aménagement du territoire. Il permettra beaucoup d'ajouts et d'adaptations au fur et à mesure des modifications apportées au programme initial dans son développement.

4. L'après concours pour un Masterplan

Robert Cramer refuse l'organisation d'une exposition des projets des huit concurrents comme cela est l'usage après un concours de ce genre et impose aux participants la loi du silence: il leur interdit de publier leurs projets, voire même d'en parler!

Dès lors pour plancher sur le développement de son projet le bureau d'architectes vainqueur, auquel évidemment le black-out est aussi imposé, n'a plus comme interlocuteur qu'un aréopage de fonctionnaires dont on ne peut attendre aucune objection de conscience; groupe complété par des représentants des patrons des grandes firmes implantées dans le périmètre.

La marche vers le projet de Masterplan et qu'il sera présenté six mois plus tard commence dans l'omerta le déni de négociation et le déficit de démocratie. Aucun représentant des 21'000 travailleurs qui sont employés par les entreprises implantées sur le site ne sera invité à un moment ou à un autre du processus.

5. Les objectifs du Masterplan

Le Masterplan Praille - Acacias -Vernets a les objectifs principaux suivants:

5.1 Résister aux pression de plus en plus fortes de milieux de plus en plus divers qui réclament une refonte du Plan directeur cantonal allant dans le sens du déclassement en zone à bâtir de terrains actuellement en zone agricole en regard à la fois des objectifs du Protocole d'accord sur le logement, de l'Initiative no. 128, et du retard pris par le canton de Genève face aux départements français de l'Ain et de la Haute-Savoie dans la construction de logements pour l'agglomération/métropole franco-valdo-genevoise.

Selon Charles-André Aymon, journaliste, dans l'hebdomadaire gratuit «Genève Home Information» 8)  , le journal par intérim de la Section genevoise de l'Union démocratique du centre (UDC) Robert Cramer aurait glissé en petit comité «Si on dit non aux tours je dépose le projet de déclassement (en zone constructible) d'une grande partie de la campagne.

Pierre Kunz, député radical au Grand Conseil, l'un des initiateurs de l'IN128, a bien vu la faille. Dans «Le Temps» sous le titre «Bâtissons en hauteur mais aussi en largeur» 8)   il argumente et critique. Extraits:

(...) N'empêche que ce projet laisse aussi un sentiment de malaise. Il prévoit en effet la création de 20'000 emplois, c'est-à-dire la nécessité de loger au minimum 15'000 nouvelles familles. Où le Conseil d'Etat prévoit-il de le loger? En France voisine? Dans le canton de Vaud? Car les 6000 nouveaux logements dont il est fait état dans les plans ne suffiront pas.

(...) C'est ainsi qu'aujourd'hui le quart des personnes travaillant dans le canton habitent hors de ses frontières et que l'administration fiscale vaudoise encaisse annuellement entre 300 et 400 millions de francs sur les revenues et la fortune des employés des entreprises genevoises, de ceux qui logent et consomment entre Coppet et Morges.

Un constat qui pourtant ne retient pas le conseiller d'Etat Robert Cramer. (...) de retomber dans une facilité incompatible avec les enjeux et de mettre d'emblée et inutilement en opposition ce projet d'urbanisation dense et la protection de la zone agricole. «Acceptez Praille-Acacias sinon...!» Une attitude inexcusable pour un ministre qui sait que (...) Genève va être forcée, au titre de la RPT, de supporter désormais chaque année entre 150 et 200 millions de francs de charges supplémentaires. (...)

A propos de ces déclassements: alors que l'on aborde le troisième trimestre de 2007, la Direction du logement (DLO) du Département des constructions et des technologies de l'information (DCTI) ignore si des études de déclassement sont menées par la Direction de l'aménagement du territoire (DAT) du Département du territoire (DT quand bien même le plan initial du programme «PLUP» (Programme de mise en place des logements d'utilité publique) situe dans les deux premiers trimestres 2007 l'opération «disponibilité des terrains: cartographié avec (sic!) la DAT»

La décision prise par le nouveau Conseil d'Etat de 2005 de séparer l'aménagement du territoire et les constructions prend là tout son sens: la défense des hérons cendrés (Robert Cramer) rejoint celle des colognotes (Mark Muller).

5.2 Freiner voir stopper les processus qui visent à construire des quartiers, dans les zones prévues à cet effet par le Plan directeur cantonalLa Chappelle-Les Sciers (Lancy, Plan-les-Ouates). Les Vergers (Meyrin) et les Communaux d'Ambilly (Thônex, Publinge) au profit du statut quo ou de la construction de villas.

Un signe le responsable du projet des Communaux d'Ambilly a été transféré sur celui de Praille-Acacias-Vernets.

On ne peut plus aujourd'hui comme l'a fait Marcellin Barthassat, président de la Section genevoise de Patrimoine Suisse, ex-Société d'art public, défendre l'urbanisation des Communaux d'Ambilly et la densification du périmètre Praille - Acacias - Vernets.

«Les Communaux (d'Ambilly) sont une occasion à ne pas rater» Tribune de Genève samedi-dimanche 4-5 juin 2005 et «Utiliser de manière optimum les zones à bâtir pour soulager la pression sur la zone agricole et les paysages, telle est la recommandation de Patrimoine Suisse» Tribune de Genève vendredi 11 novembre 2005

Rappelons que pour réaliser complètement le quartier projeté aux Communaux d'Ambilly il faut déclasser de la zone agricole. Ceci explique sans doute cela.

5.3 Permettre à des firmes haut-de-gamme comme l'horloger Rolex, le banquier Pictet, etc. de chasser du site les petites et moyennes entreprises qui s'y trouvent.

Est-ce à cause de ce projet de développement du grand quartier de la Praille-Acacias comme indiqué dans le discours dit de Saint-Pierre que Laurent Moutinot a été écarté du DAEL et celui-ci démantelé au profit des projets de Robert Cramer et Mark Muller? Question aujourd'hui sans réponse. Mais on doit reconnaître à posteriori le bien fondé d'une grande partie des réticences du Conseiller d'Etat anciennement chargé de l'aménagement du canton et des constructions face à ce projet.

On peut même reprendre son argumentation à propos d'un tel déménagement annoncé:

5.3.1 Cette zone abrite 850 entreprises et 11'000 postes de travail. Il faut d'abord un projet pour de nouvelles zones industrielles sinon on désécurisera employeurs et travailleurs de cette zone.

5.3.2 La mixité tant mise en avant par les thuriféraires du Masterplan conduira à la disparition des industries dont le rendement en regard du foncier est plus faible que celui des autres activités

6. Réponse aux objectifs du Masterplan

6.1 La loi découlant du protocole d'accord sur le logement adoptée par le Grand-Conseil le 24 mai 2007, offre de nouveaux moyens opérationnels (notamment les LUP et le droit de superficie) que les fondations immobilières et les coopératives d'habitations se réjouissent de pouvoir mettre en œuvre dès l'entrée en vigueur de cette loi, le 6 juillet.

Fort de cette loi, c'est sans tarder que le Conseil d'Etat devrait proposer les lieux aptes à des déclassements de zone agricole en zone de développement, pour la crédibilité du protocole d'accord et pour répondre concrètement à l'IN 128; et ce, d'autant plus vite que les procédures qui s'en suivent peuvent être longues, qu'aucun chantier ne s'y ouvrira avant cinq ans, et qu'il s'agit de la principale ressource foncière pour de nouveaux logements.

De plus une refonte du Plan directeur cantonal s'impose, si Genève entend assumer sa part des 100'000 logements à créer d'ici 2030, selon le programme du projet d'agglomération franco-valdo-genevoise.

6.2 Le projet de Masterplan n'a pas à prendre le pas sur trois autres, déjà cités dont la réalisation est urgente et peut être engagée beaucoup plus rapidement: les Communaux d'Ambilly, La Chapelle-Les Sciers et Les Vergers. Face à la crise du logement, la priorité stratégique de ces trois secteurs doit être impérativement confirmée par le Conseil d'Etat.

6.3 Le projet de déclassement de terrains de la zone agricole en terrains à bâtir (Lire paragraphe 6.1) ne devrait pas concerner exclusivement le logement mais aussi les lieux de travail, les zones industrielles.

7. Dans le prolongement de la chronologie critique qui précède il est nécessaire de rappeler deux faits importants.

7.1 La tentative de l'Institut d'architecture

Parallèlement, et bien avant l'initiative pour un concours d'idées de la section genevoise de la FAS, des enseignants de l'Institut d'architectures de l'Université de Genève (IAUG) s'étaient engagés au début du semestre d'hiver '04 -'05 avec la bénédiction de Xavier Comtesse, directeur-adjoint d'Avenir Suisse dans la création et l'animation d'un atelier transversal, réunissant toutes les lignes disciplinaires de l'Institut, travaillant sur la rénovation urbaine de la zone industrielle de La Praille - Acacias. Lors d'un séminaire autour des travaux de cet atelier organisé en décembre 2004 intitulé «Vision Praille, Acacias, Carouge» s'élaboraient déjà quelques éléments de projet qui persisteront jusqu'au Masterplan. La Tribune de Genève du 30 décembre 2004 titre à propos de ce séminaire «La Praille deviendra-t-elle le Manhattan de Genève?»

Ces enseignants, dont faisait partie le directeur de l'IAUG Jean-Pierre Cêtre, espéraient en se saisissant dans le sens du courant de cette question, mieux résister à la fermeture programmée de leur Institut en donnant quelques gages à leur autorité de tutelle. Ce fut inutile le processus de démantèlement se poursuivi sans dévier. Ils furent traités comme les organisateurs du concours de la FAS.

On peut par ailleurs établir un lien entre la transformation de l'Institut d'architecture en un Institut de l'environnement et la coupure en 2005 après l'élection au Conseil d'Etat du Département de l'aménagement de l'équipement et du logement en deux parties: d'un côté urbanisme et aménagement du territoire; de l'autre constructions et gestion des bâtiments. Cette mise en relation fait mieux comprendre la politique du nouveau gouvernement cantonal vis-à-vis des questions qui relèvent du compromis territorial.

7.2 Le silence des CFF

En février 2005 un dépliant signé «Opportunité» présente un projet d'aménagement dont l'étude a commencé début 2003. Elle concerne 10 hectares de terrain appartenant aux CFF situés dans le site au pied du coteau de Lancy: 600 logements, le long de la route du Grand-Lancy: secteur mixte d'activités, logements et équipement et près du carrefour de l'Etoile: 160'000 m? de planchers d'activités.

Le pilotage de ce projet est assuré en partenariat par les CFF et par l'Etat de Genève au sein d'une société simple de valorisation de terrains à Genève La Praille, SOVALP.

Ce projet qui est de la même veine est intégré au projet de Masterplan et mérite les mêmes critiques.

Le solde très étendu du domaine des CFF divisé en deux parties est classé dans la légende sous une dénomination floue «potentiel, bande verte / terrain des voies»

Ce flou se prolonge dans l'absence de prise de position claire des CFF sur le projet de masterplan.

8. Pour un contre-projet

A ce stade de la critique du projet, la continuer pourrait être contreproduisant.

On pourrait par exemple poser de nombreuses questions au maître de l'ouvrage et à son mandataire:

D'abord sur le programme imposé par le Conseil d'Etat soit 6'000 logements en plus des 3'000 existants et 20'000 emplois en plus des 21'000 actuels; un programme qui ne semble ni réaliste ni souhaitable. Sur ce «bourrage» qui ne laisse quasiment pas de place aux équipements et espaces publics nécessaires qu'il s'agisse d'écoles ou de parcs, les «pocket parks» prévus sont une mauvaises plaisanterie.

Ensuite sur la possibilité de réaliser des logements d'utilité publique (LUP) où? combien? Une seule certitude: ce ne sera pas dans les tours. Bruno Vayssière, directeur de la Fondation Braillard Architectes, donne sur cette question une réponse claire. Dans «Le Temps» répondant à une journaliste lors d'une interview sur le Masterplan 10)  . Extrait:

A vous entendre, la Praille deviendra huppé. Et la mixité sociale?

C'est une utopie. Le Conseil d'Etat promet du logement social, mais je doute que cela se concrétise. Ceux qui travailleront à la Praille y habiteront. Dans une première phase, certains bâtiments industriels délaissés pourront accueillir des lofts pour les artistes et les galeries d'art contemporain. Mais il ne faut pas se leurrer; dans les immeubles neufs, il y aura exclusivement des appartements pour millionnaires.

Des questions aussi sur la nature des nouveaux emplois. Le Conseil d'Etat donne l'impression de miser exclusivement ou presque sur le «tout tertiaire».

Des questions encore sur la mixité tant revendiquée par les tenants politiques du projet. Sur la compatibilité entre habitations et activités notamment en raison du «bourrages» prévu qui force leur proximité latérale ou horizontale: bruit, sécurité, coût de construction élevé en cas de superposition, etc.

Des questions enfin sur le déficit démocratique qui a accompagné l'élaboration du projet.

Mais le but de la prise de position n'est pas dans ce cas l'amélioration du projet de Masterplan Praille-Acacias-Vernets mais son rejet.

Une seule voie reste alors pour continuer la critique, celle du contre-projet.

Le Groupe «Genève cinq cents mètre de ville en plus» a participé au concours de la FAS et présenté un contre-projet issu d'un contre-programme: implanter la gare centrale de Genève à la Praille.

Le déplacement de la gare de Cornavin sur le site de La Praille correspond à plusieurs réflexions issues des projets que le Groupe conduit depuis plusieurs années.

En premier lieu, il reconnaît ce site comme stratégie pour l'implantation de la gare centrale de la nouvelle Genève dans la mesure où elle se situe dans un lieu de convergence du projet territorial urbain transfrontalier qui prévoit la construction de quelques 200'000 logements de part et d'autre de la frontière.

Dans ce sens, cette nouvelle gare internationale assure l'interface indispensable entre l'ancienne et la nouvelle Genève et l'Europe et renforce son caractère métropolitain. De plus son implantation au niveau local vise à la requalification également d'un territoire dans son rapport entre centre et périphérie, assurant un développement à ce périmètre pour des activités exceptionnelles et non pour la production courante de la ville.

En effet, outre le projet susmentionné, l'ordinaire de la ville, particulièrement le logement, est à implanter dans les meilleurs endroits de celle-ci pour habiter, à savoir principalement les bords du lac sur les communes de Bellevue et de Pregny-Chambésy sur la rive droite, de Cologny sur la rive gauche ainsi que sur les plateaux de Vessy et de Pinchat.

Dès lors cette nouvelle gare n'est pas à considérer comme un simple déplacement de la gare de Cornavin dont on prévoit la transformation en halte CFF, mais bien comme l'émergence d'un nouveau lieu central, à l'échelle de la future agglomération/métropole de plus d'un million d'habitants.

Le choix en ligne de la gare sur le faisceau principal des voies permet non seulement de répondre aux objectifs définis ci-dessus mais également de réaménager l'espace et le lien nécessaire entre l'arrivée de l'autoroute par la route des Jeunes afin d'en optimiser l'accessibilité tous modes de transport confondus.

Il est à noter également que les terrains pouvant être désaffectés sur le secteur de l'ancienne gare de Cornavin peuvent être valorisés et dont les plus-values pourront financés en grande partie les nouvelles infrastructures à réaliser.

Lors d'un débat publié par la «Tribune de Genève» qui l'oppose à Xavier Comtesse, directeur-adjoint d'Avenir Suisse, fervent partisan de la section genevoise de la FAS, Raymond Schaffert, membre du groupe, expose le contre-projet 11)  . Les questions vont de Jean-François Mabut.

- Que faut-il conserver à la Praille-Acacias?

Schaffert. C'est un quartier complexe qui offre des milliers d'emplois. La partie nord doit conserver son caractère industriel. Architecturalement, il y a des bâtiments qui sont des témoins de notre patrimoine: la patinoire des Vernets évidemment, le garage Eurogas, Sicli et plusieurs autres. Il faut surtout conserver tout l'espace ferroviaire en réservant la possibilité d'y installer la gare centrale de Genève.

- Qu'est-ce qui va ou doit disparaître à la Praille?

Comtesse. Rolex ne disparaîtra pas ,le Stade de Genève non plus, la caserne, oui. La gare de triage et aux marchandises aussi. Le débat commence sur l'image générale. Il faut l'achever puis réaliser les projets objet par objet. Malheureusement, Genève se focalise sur les transports et les rues qu'on ferme et pas sur le logement et le développement urbain.

Schaffert. Il ne faut surtout pas démanteler la gare. Avec l'autoroute, Genève a en outre l'opportunité de se doter d'une vraie gare routière. Pour le reste il faut privilégier des activités liées à ce pôle d'échange: des hôtels, des activités, des équipements culturels et sportifs, etc.

Le jury du concours a une position un peu alambiquée sur le contre-projet et sur le rail en général. Extraitd'un texte de Philippe Bonhôte, architecte12)  :

(...) On notera la proposition d'un des concurrents de renforcer la vocation ferroviaire du site en y installant la gare principale. Si l'idée a un intérêt dès lors qu'elle peut donner une nouvelle et forte orientation au site, capable d'influencer plus largement le visage de toute la région, elle reste critique par le renforcement de la mono fonctionnalité du secteur qu'elle implique.

Le rail, comme bientôt les autoroutes, les zones aéroportuaires ou d'autres secteurs très fortement marqués, n'a pas encore trouvé clairement son mode d'assimilation dans la ville.

Culturellement assimilé, partie intégrante de notre environnement et de notre patrimoine depuis longtemps, il reste toutefois inscrit dans une logique de séparation du monde en deux secteurs: la ville et le reste. Les deux ne font désormais qu'un.

Mais d'autres protagonistes estiment ce contre-projet intéressant:

- Jean-François Mabut, journaliste, Tribune de Genève 13)  

(...) Et l'idée du groupe «500 mètres de ville en plus» d'y déplacer (à la Praille) la gare centrale de Genève donne une raison d'être supplémentaire à la liaison ferroviaire avec les Eaux-Vives.

- Olivier Balissat, Fédération des entreprises romandes, dans la rubrique «L'Invité» de la Tribune de Genève 14)  .

La gare de Cornavin est une vieille dame engoncée dans un corsage étriqué. Ses infrastructures sont sous-dimensionnées: elles ne peuvent plus faire face à l'augmentation continue des flux de passagers qui y transitent, près de 100'000 personnes par jour (...)

Que faire? La réponse est simple: il faut délocaliser la fonction de gare principale assumée par Cornavin, ou tout au moins la compléter, dans un secteur urbain appelé à jouer un rôle crucial dans les années à venir. Où délocaliser? L'idéal consiste à trouver un secteur aux confins du centre-ville se transformant peu à peu en une extension naturelle de celui-ci (...)

Le rail perd sans cesse des parts de marché dans le domaine du transport de marchandises: une gare de triage en fin de ligne à Genève est donc un gaspillage de surface urbaine qui ne peut plus se justifier. Affectons cette surface au trafic voyageur appelé à connaître un formidable essor avec le développement tant attendu du réseau RER genevois, construisons à la Praille une gare «Cornavin bis», (...)

- Laurent Moutinot, Conseiller d'Etat, lorsqu'il était en charge du DAEL 15)  .

La gare de la Praille n'est-elle pas sous-utilisée?

Moutinot. Le rail a failli disparaître, mais retrouve heureusement sa raison d'être. IKEA a, par exemple, accepté que son approvisionnement se fasse par ce mode de transport. Genève a eu tort d'arracher ses rails de tram, ne répétons pas la même erreur!

 


1) « Genève, 2020 Co habitations »
Philippe Bonhôte, Pierre Bonnet,Francesco della Casa, Alain Léveillé, Jean Perneger, Charles Pictet, Kavez Rezakhanlou
Concours international d’architecture et d’urbanisme Densification du secteur Praille-Vernets-Acacias à Genève
Fédération des architectes suisse, Section Genève 2007

2) Jean-Marc Piotte
« La pensée politique de Gramsci »
Sociologie et connaissance. Collection dirigée par Lucien Goldmann
Editions Anthropos Paris 1970

3) « Le Temps » jeudi 28 avril 2005

4) « La Tribune de Genève » lundi 9 mai 2005

5) ditto

6) « Le Temps » mardi 4 octobre 2005

7) La Fontaine
« Fables »
Edition établie, présentée et annotée par Marc Fumaroli de l'Academie française
Avec les gravures de J.-B. Oudry (1783)
Classiques Modernes
La Pochothèque Le Livre de Poche
Imprimerie Nationale 1985

8) « Genève Home Information » 24 mai 2007, No. 1517

9) « Le Temps » 30 mai 2007

10) « Le Temps » 23 mai 2007

11) « La Tribune de Genève » mardi 8 novembre 2005

12) dito

13) « La Tribune de Genève » 11 novembre 2005

14) « La Tribune de Genève » 13 mars 2006

15) dito